Mémoire de Chirols

Conférence de Michel RIOU, 25 juillet 2009

I – NAISSANCE D’UNE COMMUNE.

La commune de Chirols ne date que de 1854. D’après Pierre Charrié, il est question d’un “Cariolum” dès le X° siècle, et du “mansi de Chirols” dès 1281. Il y avait une église, dédiée à Ste. Madeleine, remplacée en 1846 par une nouvelle dédiée à Notre-Dame. Justement, la commune de Chirols naquit sans doute de la transformation de cette église en succursale, avec un curé, l’abbé Delaygue, qui va jouer un rôle déterminant (I).

La création d’une succursale s’explique par le nombre des habitants: la section de Chirols compte alors plus de 800 habitants, sur les 2.400 que compte alors Meyras. Les “secours de la religion” sont d’un accès difficile, pour des personnes qui se trouvent à 1 h ou 1h 30 de marche de l’église Saint-Biaise de Meyras. Des personnes de Juvinas ou d’Ayzac peuvent être desservies par l’église de Chirols. Surtout, le pont de Veyrières, par où passe jusque dans les années 1840 la route d’Aubenas à Montpezat, menace ruine: il s’appuie sur la rive gauche sur des basaltes qui s’éboulent. S’il tombe, il faudra pour aller à Meyras passer par le pont de Labeaume, soit effectuer un trajet de près de 10 km. L’origine du pont de Veyrières est mystérieuse. D’après Frank Bréchon, rien n’atteste son existence dans la documentation médiévale. La route d’Aubenas à Montpezat pouvait franchir la rivière au lieu-dit “le Chia”, où il pouvait se percevoir un péage à l’entrée du mandement de Meyras. On ne trouve trace du pont de Veyrières, pour des réparations effectuées par le maître maçon Pierre Serre, de Nieigles, qu’en 1755.

Une pétition est formée par les gens de la section de Chirols le 20 décembre 1847, signée par 26 personnes, qui font valoir surtout des motifs financiers. Il leur faut payer pour l’église, l’école de Meyras, alors que d’autre part ils doivent payer pour leur église, construire un cimetière, “faire de la police” parmi eux, réparer leurs chemins, etc. Le curé Delaygue intervient une première fois,le 28 octobre 1850, et une commission syndica1e de 5 membres est formée Le conseil municipal de Meyras, où l’adjoint est de la section de Chirols, prend une position hostile : le chemin est “praticable en toutes saisons”, le pont de Veyrières est solide et” ne demande aucun entretien” . Le maire n’est autre que Auguste Ricard, chez qui Jean-Louis Plantevin, le futur moulinier de Pont-de-Veyrières, a fait ses premières armes comme apprenti contremaître en 1835. (2) . L’église, le presbytère et le cimetière de Chirols sont neufs. D’ailleurs, les gens de la section de Chirols vont aux marchés de Burzet, Montpezat, Thueyts, Aubenas, et pour cela passent…par Meyras, traversé par le chemin vicinal n°2, qui permet en outre d’aller aux audiences de la justice de paix de Thueyts.

Nouvelle intervention du curé le 16 Mars 1852, mais il se heurte alors à un opposant de taille : le préfet lui-même, qui est hostile aux petites communes, disant qu’elles font monter les impôts, sont souvent dirigées par des incompétents, et qu’il suffirait de créer une école et d’installer un officier d’état-civil à Chirols. D’ailleurs, dit-il, le chemin est bon: “il n’est pas praticable aux voitures, mais il convient aux bêtes de somme. “Une enquête a lieu en mars 1852, menée par le juge de paix de Thueyts, plutôt favorable à la création de la commune, mais sans résultats concrets.

Une nouvelle fois, le curé Delaygue repart à l’assaut: le 17 septembre 1852, il expose que les gens de la section de Chirols sont condamnés à la misère s’ils doivent porter le poids des dépenses de Meyras en plus des leurs. Il intervient pour faire présenter la demande au Conseil d’arrondissement, puis au Conseil Général, qui bizarrement, n’avaient jamais eu à en débattre. Et cette fois, la démarche aboutit. Le sous-préfet de Largentière donne son accord le 28 juillet 1853, et la commune est définitivement créée par deux décrets des 18 avril et 28 juin 1854. Un conseil municipal est élu, avec à sa tête un nommé Bouchon, on dresse un cadastre, et le curé Delaygue rayonne: il s’est installé dans son presbytère financé par ses paroissiens, et dans son conseil de fabrique (3), il a Jean-Baptiste Delière, fort propriétaire de Chirols, mais aussi Jean-Antoine Barbe, propriétaire alors de l’usine de Pont-de-Veyrières…

II – L’ÉVOLUTION DE LA POPULATION.

Chirols est victime d’une extraordinaire négligence : les listes nominatives des recensements depuis 1911 ont disparu. C’est à ma connaissance la seule commune ardéchoise dans ce cas. Fort heureusement, les listes nominatives de 1861 et 1881 sont conservées aux Archives de l’Ardèche sous forme de microfilms. Les originaux, s’ils existent, ne sont pas accessibles. La liste de 1861, à demi effacée, tachée, est inutilisable du moins sous cette forme. Celle de 1881 est donc la seule disponible. Toute étude un peu fine de l’évolution de la population est donc impossible, par sottise, par négligence, que sais-je?

En 1881, la population était de 845 personnes. Le recensement de 1861 en donnait 822. Le maximum démographique fit atteint en 1886, avec 905 individus. Puis le déclin s’amorce: 668 habitants en 1911, 608 en 1921, 543 en 1936, 470 en 1946, 316 en 1975, 223 en 1990, minimum atteint à ce jour. Le recensement de 1999 marque un léger renouveau, avec 257 habitants. Depuis, les recensements décalés dans le temps, non publiés, rendent le travail sinon impossible, du moins très difficile.

En 1881, le chef-lieu regroupait 117 personnes, formant 32 ménages. Les principaux hameaux étaient ceux de Pont de Veyrières, avec 122 habitants, Romegière avec 111, Aubignas avec 101, Veyrières 95, le Fez avec 78. En 1925, au moment de l’électrification, on comptait 98 habitants au chef-lieu, 50 à Romegière, 50 à Aubignas, 65 au Fez, 40 à la Chabanne, 50 à Veyrières, 160 à Pont-de-Veyrières, 20 au Serre, etc… En 1938, au moment du projet d’adduction d’eau communal (4) on comptait 74 habitants au chef-lieu, 119 au Pont de Veyrières, 45 à Romégière, 51 à Aubignas et la Combe, 30 à Veyrières, 73 au Fez. On ne peut avoir plus de précision du fait de la disparition des listes nominatives. II semble bien que ce soient surtout les écarts qui ont perdu leur population entre 1881 et 1938, et particulièrement les plus isolés, ceux où la vie était plus difficile et les services essentiels (école, église,commerces, médecins) plus lointains. Ceux de la partie basse de la commune conservent mieux semble-t-il leur population, l’augmentent parfois entre 1925 et 1938

Où vont les gens ? Une enquête sur les causes de la dépopulation, datant de 1921 (5) permet d’avoir quelques éléments. “Notre pays n’est pas productif et bien des ménages vont gagner leur pain dans les villes”, écrit à cette occasion l’adjoint Reyne. Sur 9 mariages célébrés à Chirols cette année-là, 3 seulement s’installent à Chirols, 2 partent à Lyon, 1 à Aubenas, 2 à Saint-Pierre de Colombier, 1 au Roux. Part-on vraiment vers” les villes” ? Il y a des départs, bien sûr, mais beaucoup vont vers des campagnes offrant du travail, restant souvent dans l’agriculture… Bel exemple d’influence de l’idéologie régnante sur un homme pourtant bien au fait des réalités. Quand à la guerre, chacun sait qu’elle fut particulièrement meurtrière pour les paysans peu instruits, alors que les diplômés trouvaient souvent refuge dans les états-majors, loin du front, ou étaient pour les plus âgés mobilisés sur place.

III – L’ÉVOLUTION DES RESSOURCES.

1°) L’industrie.
Au moment de son achat par Jean-louis Plantevin en 1861, l’usine de Pont-de-Veyrières pouvait traiter annuellement 7.000 kg de grèges, avec le concours de 6 hommes et 42 femmes (6) dans deux fabriques, la “vieille”, avec 320 tavelles et la “nouvelle” construite par Barbe avec 900 tavelles. C’est Plantevin qui fait construire les deux pavillons et la terrasse dominant la Fontaulière, une boulangerie, un moulin et une chapelle. L’augmentation de la hauteur de chute, l’orientation résolue vers l’ouvraison au détriment du négoce (car la production locale de soie grège s’effondre à cause de la pébrine), provoquent une augmentation considérable de la productivité entre 1850 et 1870.

Un orphelinat fut ouvert en 1876, et inauguré par l’évêque, de passage dans la vallée, en 1877. La surveillance des orphelines est confiée à des religieuses. La liste nominative de 1881 donne 60 “hospitalières” de 13 à 20 ans, que dirigent 3 religieuses, les sœurs Saint Basile, Sainte Célestine, et sœur Marie Augustine, qui est aussi cuisinière. Il y a aussi 3 contremaîtres avec leur famille, Adolphe Serrecourt, Pierre Chaussabel et Auguste Bonnaud, le meunier Louis Charret, le boulanger Philippe Charret, peut-être frère du meunier, 3 cordonniers, 1 aubergiste, 2 tailleurs.. . Plus Jean-Louis Plantevin, sa femme Marie Hortense Lacrotte (il a perdu sa première épouse Rose-Agathe Dejoux en 1872), sa fille Maria. Les autres enfants ne sont pas présents, y compris le futur successeur Jean-Jacques, âgé de 17 ans, sans doute en formation ailleurs, et deux filles mariées l’une à Prades, l’autre à Aubenas. Il y a un autre moulinier, Charles Avias, mais il doit travailler chez Plantevin.

Yves Morel indique que la création de cet orphelinat est due au manque de main d’œuvre locale. C’est bien possible : sur toute la liste nominative de 1881, on ne compte que 3 “ouvrières en soie” à Romegière, 1 “moulinier” et 1 “torsier” au Bosc, 1 autre à Aubignas. S’agit- il d’une politique délibérée de la part de Plantevin ? Il ne le semble pas : le nombre de jeunes filles susceptibles d’être employées au moulinage sur la commune est très faible. Quand au salaire, il est de 18 à 30 francs par mois, mais il faut défalquer 14 francs de pension et les frais d’entretien. Au total, il ne devait pas rester beaucoup plus de 10 francs par mois, soit aux alentours de 0,60 franc par jour, C’étaient des salaires très faibles dans cette profession mais il est vrai qu’ils étaient réguliers, ce qui n’était pas le cas général dans les usines de l’époque.

On sait que, après 1890, les tarifs douaniers mirent les mouliniers à l’abri de la concurrence étrangère (en partie grâce à Edouard Fougeirol, député, sénateur…et moulinier-filateur aux Ollières) mais non des caprices de la mode. Après la guerre de 1914 arrivèrent de nouveaux produits, symbolisés par la rayonne, issue de la cellulose du bois, puis dans les années 1950 par le nylon. Il fallut à chaque fois modifier l’outillage. Mais la fabrication du fil devenant une opération de haute technologie, les grosses firmes purent seules investir dans la recherche de pointe, et la fabrication s’intégra peu à peu tout entière dans leurs activités. Réduits à l’état de sous-traitants, les mouliniers durent très souvent abandonner la fabrication.

Jean-Jacques Plantevin, qui prit la direction de l’usine en 1893, installa un tissage après la guerre de 1914, et construisit alors de nouveaux bâtiments pour l’accueillir. Devenue société anonyme en 1923, l’usine Plantevin assurait désormais l’habitat de certains de ses ouvriers, ouvrait une école ménagère ; Plantevin devenait un véritable groupe (ce qu’il était déjà du fait des liens familiaux unissant ses membres), avec des usines à Montpezat, Aubenas, Prades, Thueyts, puis Litton en Angleterre. Un incendie dévasta la nouvelle fabrique en 1934. L’entreprise à Pont-de-Veyrières emploie pourtant toujours 71 personnes en 1955, 113 en 1967. Ce n’est évidemment pas le lieu de revenir ici sur les dernières péripéties qui aboutirent à la fermeture de l’usine dans la période récente.
2°) L’agriculture.

Le cadastre dressé en 1855 (7) au moment de la création de la commune permet d’avoir une idée de celle-ci au milieu du XIX° siècle. Le plan cadastral permet d’en avoir une idée simple, mais grossièrement exacte : les prairies sont installées en bord de rivière ou de ruisseaux, souvent irriguées par des béalières. Puis, les vignes tiennent une place importante, surtout sur les versants orientés au sud, comme vers Arlix, le Fez, Veyrières ou le Bosc. Les terres sont installées aussi sur ces pentes. Au-dessus se développe la sombre couronne des châtaigniers. Il y a peu de bois à proprement parler. Vers les sommets (Sainte-Marguerite, la Ribeyre, Bouscous) s’étendent des landes de 600 à 800 mètres d’altitude.

On peut avoir une idée des pratiques culturales pour le châtaignier et la vigne: pour le châtaignier, on cultive surtout la Grosse Bouche, dans les bas fonds, la merle, la dauphine, la garinche, la roussette, la sardonne. Il y a même une variété spéciale au pays, la “mazette” ou “ranchette”, ainsi appelée du nom du hameau du Ranchet. Sa qualité est excellente, sa vente facile. Il y a aussi des aiguillonne, durones, bernardes, neyrannes, et en tout en 1904 la commune produit 1.200 quintaux métriques de fruits. Ces châtaignes passent au séchoir, et sont ensuite vendues à Aubenas, et vendues à cette date de 16 à 20 francs les cent kilo. Les noyers ont pratiquement disparu du fait des maladies. Si le châtaignier venait à être malade, ce qui n’est pas le cas en 1904, les propriétaires ne replanteraient pas, et transformeraient les châtaigneraies en pacages (8).

Quand à la vigne, on la plante en “manoulières”, c’est-à-dire, d’après le juge de paix de Thueyts en 1852, en plaçant “une rangée de ceps le long et au-dessus de chacune de ces murailles qui séparent les terrasses l’une de l’autre, on appuie chaque cep d’un échalas. On donne un labour en mai ou juin, on taille en janvier-février, et on tient au moyen de liens d’osier ou de paille les sarments aux échalas, à une certaine hauteur du sol. La vendange est jetée dans une cuve où on la laisse fermenter 12 ou 15 jours, et d’où l’on tire ensuite le liquide qui est versé dans des tonneaux en bois de châtaignier de contenance qui varie de un à quatre hectolitres” (9). Mais dès le début des années 1850, la vigne est frappée par la coulure due à la pluie, et surtout par l’oïdium. Chastanier de Burac, de Jaujac, membre de la commission d’agriculture, indique que la récolte de 1856 est très faible. “Le soufre, dit ce membre de la société d’agriculture, n’est d’aucun effet. Tous les végétaux sont frappés par quelque principe délétère que nous ne connaissons pas : les mûriers, les pommiers, les cerisiers et beaucoup d’autres arbres ont les feuilles de leurs branches inférieures comme brûlées et noircies… Si comme on l’admet généralement, la maladie est produite par un vice existant dans l’atmosphère, elle ne disparaîtra que lorsque l’air sera revenu à son état normal, et ce n’est que Dieu qui peut le rendre tel. Les hommes n’y peuvent rien…”Le juge de paix Guigon dit que en 1860, soit bien avant l’arrivée du phylloxera, les vignes du canton de Thueyts ont été à peu près détruites. C’est du reste, dit-il, un produit de peu d’importance. Voire.

Quand aux mûriers, la statistique donne pour Meyras (puisque Chirols n’existe pas encore) 8 ha de mûriers (ce qui ne veut rien dire, ces arbres étant le plus souvent au bord des champs ou des chemins), 1600 arbres, 168 onces de graine mis en incubation, produisant 4.800 kg de cocons, 343 kg de soie, le tout produisant à raison de 4 francs le kg de cocons et de 60 francs le kilo de soie 19.200 francs de cocons et 20.580 de soie. Il y a à cette époque seulement 6 magnaneries salubres, 6 filatures, mais seulement 20 tours à filer. Cela peut sembler beaucoup: mais à Saint-Cirgues-de-Prades, il y a 22 750 arbres, 13 300 à Mayres en dépit de l’altitude, 26 000 à Thueyts, et surtout 60 240 à Balazuc. Prades tire 70 000 francs de ses cocons, 81 000 de ses soies, Thueyts 51.600 francs de ses cocons et 64.000 de ses soies. Meyras semble spécialisée dans la filature: on y compte 6 filatures: Tailhand, Ruard, Fournier, Barbe, Seuzaret et Nogier. Cette commune (y compris Chirols) est donc touchée par la fièvre de la soie. Mais cela est sans commune mesure avec ce qui se passe à cette époque en Bas-Vivarais, et surtout dans les parties basses des cantons de Joyeuse, Largentière ou les Vans.

II convient ici de tâcher d’apprécier à Chirols l’ampleur des grandes crises de la fin du XIX° siècle. En ce qui concerne le châtaignier, l’affaire est vite vue: en 1904, il n’y a pas de maladie dans la commune, et celle-ci, dans le canton n’a touché que Pont-de-Labeaume, Prades et faiblement Jaujac. On arrache les châtaigniers, mais c’est pour les usines à tanin. En 1918, toujours pas de maladie à Chirols. En 1934, la maladie de l’encre n’est apparue que depuis 5 ou 6 ans : elle attaque les arbres les plus robustes, dans les sols les plus fertiles. “La maladie de l’encre a progressé rapidement l’année dernière surtout dans la partie sud de la commune, et si elle continue ainsi d’ici quelques années nos châtaigneraies vont disparaître complètement” (11). On le voit: la maladie de l’encre n’a frappé qu’aux environs de 1930, et ne semble pas avoir eu vraiment d’incidence sur une dépopulation commencée vers 1890…

Quand à la vigne.. .Nous avons vu les ravages de l’oïdium. Mais le phylloxera, qui apparaît en Ardèche en 1870 vers Bourg-Saint-Andéol, à Largentière en 1875, mais en 1883, à Chirols, “certains propriétaires se plaignent…mais on n’est pas sûr qu’il s’agisse du terrible insecte…” (12) Il n’y a encore aucun dégât à Thueyts, Meyras, Jaujac, très peu à Saint-Cirgues de Prades, mais 30 ha ont été détruits sur 80 à Fabras . Il faut attendre 1894 et une époque où ailleurs, le vignoble est largement replanté en plants américains, pour voir le phylloxera détruire 48 ha sur 70, et dans l’ensemble du canton de Thueyts, près de la moitié du vignoble est détruit : 229 ha sur 505 (13). En 1900, dans tout l’arrondissement de Largentière, sur 5.830 ha 4 180 sont replantes en plants americains, qui produisent beaucoup, mais en faible qualité. On ignore les chiffres de Chirols, où il est certain que la replantation a été tardive. Par ailleurs, la dépopulation ne commence qu’après 1886, c’est-à-dire après l’arrivée du phylloxera…

C’est à la lumière de ces informations qu’il faut étudier les matrices cadastrales de 1855 et 1913. Les superficies totales sont différentes: 690 ha en 1855, 667 en 1913. La commune n’a pas rétréci: mais le cadastre de 1855 incluait les propriétés bâties. Les revenus ont considérablement augmenté, en francs-or qui ne se dévaluent pas entre les deux dates: de 13.048 à 23.439 francs. Voilà de quoi tordre le coup à la thèse commune d’une dépopulation due mécaniquement à l’appauvrissement agricole.. .Si on observe les masses de culture, on s’aperçoit que les superficies ont chuté pour le châtaignier, mais surtout pour la vigne. Les terres, les prés, les landes, ont progressé. Mais si on observe les revenus, on s’aperçoit que la vigne faisait 14% du total en 1855, et 12,7% en 1913. ..Quand au châtaignier, il fournissait 20% des revenus en 1855, près de 13% en 1913, dans un contexte général d’amélioration. La crise de ces productions peut bien expliquer un peu le départ de la population, mais d’une façon partielle. Quand à la crise séricicole des années 1850, comment peut-elle expliquer le départ de la population 30 ans plus tard, alors qu’elle n’a dans la commune qu’une importance modérée ?

Ce sont les terres, et surtout les près, qui se développent, en superficie, mais surtout en revenus: 14,6% pour la terre en 1855, 15, 5 en 1913, et 34,8% pour les prés en 1855, et 51% en 1913. Plus que jamais, l’économie communale est basée sur l’élevage. C’est bien d’ailleurs ce que laisse supposer l’intéressante étude faite en 1938 pour la mise en place de l’adduction d’eau communale : dans les différents hameaux desservis, on compte 129 “gros bestiaux”, qui consomment environ 50 litres par jour, et près de 1.500 “petits bestiaux” qui en consomment de 20 à 30 litres. Certaines populations sont impressionnantes : 250 “petits bestiaux” à Romegière, Aubignas, ou Pont-de-Veyrières, 100 au Fez ou à la Chabanne, 30 “gros bestiaux” à Aubignas et la Combe, 23 au Fez, pour 51 et 73 habitants…Or il n’est nulle part question d’une crise de l’élevage ! Pourquoi les gens de Chirols sont-ils donc partis?

Quand aux cadastres de 1963 et 1974, ils peuvent être utilisés pour l’évolution des surfaces, très difficilement pour celle des revenus. On constate la quasi disparition de la vigne, la régression des terres et des châtaigneraies. Cette déprise s’opère au profit des landes, comme on pouvait s’y attendre. Mais la régression des surfaces cultivées n’a rien à voir avec celle de la population. Que s’est-il donc passé?

IV – LES RÉVOLUTIONS DU XXème SIÈCLE

La décision de départ, ou plus précisément celle de ne pas demeurer “au pays”, est le fruit de multiples facteurs. Insuffisance des ressources, certes; mais insuffisance par rapport à quoi? Trois facteurs entrent en jeu:
– le niveau de vie socialement acceptable
– les efforts individuels nécessaires pour y parvenir,
– les équipements collectifs nécessaires pour que ces efforts portent leurs fruits

C’est sur ce dernier point que le premier quart du XX° siècle va faire preuve d’une capacité d’initiative parfaitement remarquable. Les équipements collectifs en question sont au nombre de trois: l’accès à l’électrification, l’amélioration des chemins, l’adduction d’eau potable. Les équipements ne sont pas le fruit d’une décision étatique ou communale. A chaque fois, ils naissent d’initiatives collectives, avec l’appui de la municipalité, du département, et celui du député de la circonscription, qui est alors la 2° de Privas.

– l’électrification fut demandée par la commune de Chirols le 11 octobre 1925, à la suite d’un devis établi par la Société Électrique de la Vallée du Rhône (SEVR) dont une ligne haute tension passait dans la vallée de la Fontaulière, allant du Teil à Montpezat, le courant provenant des usines de Ventalon et de Pont du Loup, sur la Durance et le Drac. L’usine du Pradel était presque terminée. L’usine Plantevin produisait son propre courant, et alimentait Pont-de-Veyrières, mais une extension de ce réseau local ne fut pas envisagée. Le projet portait sur le chef-lieu, Aubignas, le Fez, Romegière, la Chabanne, Veyrières, le Serre, la Fabrienne, Arlix, la Vaysse, le Bosc, Combouillaud, le Mazel, Boussinaud, etc. Il y avait 650 habitants, dont on estimait la consommation à 70 kW/h, soit 9.100 kWh par an pour l’éclairage, et il fallait tenir compte de la présence de 1 boulanger, I menuisier, I forgeron, I cordonnier, qui avaient besoin de la “force” et allaient consommer 1.200 kWh par an. La commune avait droit à une demie-douzaine de lampes gratuites pour l’éclairage public.

Les travaux furent menés en deux tranches, la première portant sur les hameaux les plus proches, la seconde sur les plus éloignés (la Vaysse, le Serre, le Bosc, Combouillaud et Rabeyrie). Au cours de la 1° tranche, on dut effectuer des branchements imprévus sur l’école, l’église, le presbytère. Le coût fut de 130.000 francs, dont 50.000 de subventions et 80.000 d’emprunt communal. En outre, chaque abonné devait payer 300 francs, plus la moitié de son imposition foncière annuelle dans un rayon de 200 mètres autour du point d’alimentation. La seconde tranche fut entreprise à partir de 1931, et coûta 200.000 francs, dont 85.000 de subventions, et le reste d’emprunt. Les travaux semblent avoir été achevés en 1933. Le coût fut considérable, mais comme disait le maire Nury,” ce sont les quartiers les plus déshérités qui ont le plus besoin d’aide et de progrès et ce si l’on veut le maintien à la terre des paysans”. (14).

– l’adduction d’eau potable fut un peu plus tardive: il y eut d’abord la création de trois syndicats d’alimentation en eau potable des propriétaires de Romegière, du chef-lieu et de Chabanne, le 5 août 1932. Puis, une autre association du même type naquit à Veyrières le 31 mars 1933, et sans doute d’autres à Aubignas et au chef-lieu. Le maire et conseiller général de l’époque, Plantevin, depuis l’Angleterre où l’appellent ses affaires, appuie : il y voit une occasion de donner du travail aux chômeurs. Il faut dire que la situation n’est pas brillante : en 1904, le chef-lieu est complètement dépourvu d’eau potable, la fontaine est à sec en été, et les habitants doivent utiliser les mares voisines. L’école et ses 45 élèves n’ont pas d’eau assurée. L’été, il faut aller laver à la Fontaulière, à 2 km ou plus, parce que la petite source du village est à sec, ainsi que les ruisseaux voisins. A Veyrières, en 1934, l’eau est recueillie dans des citernes. Ailleurs, les captages se font dans les ruisseaux proches, directement à ciel ouvert, avec tous les risques de pollution que cela comporte. Aucun service d’incendie n’est possible, car on ne peut constituer de réserve. Aussi, les propriétaires de sources ne font pas de difficultés, donnent parfois leur bien, les associés offrent des journées gratuites de travail, en plus de la souscription. Tout ce monde demande l’aide du Génie Rural, et le député Édouard Froment ne ménage pas ses efforts. Certaines adductions sont réalisées, mais demeurent défectueuses.

Il faut une intervention de la municipalité d’Auguste Nury. Le projet prévoit la captation de deux sources, celle de Marie Veyrenche, qui habite Romegière, située à Courbeyre. Elle donne 42 litres d’eau par minute, et desservira le chef-lieu, le Bosc, Romegière, la Chabanne, le Mazel, le Ranchet, le Fez, Pont-de-Veyrières, etc. La seconde, située à l’adret d’Aubignas, appartient à Régis Combe, d’Aubignas, et donne 14 litres d’eau par minute. Elle desservira Aubignas, la Combe, Veyrières. En tout, 103 maisons à desservir, pour un coût de 720.000 francs. Les projets locaux seront incorporés dans le projet général, avec l’appui d’Édouard Froment. La déclaration d’utilité publique, sollicitée le 30 mai 1938, est signée par le préfet Jean Faure le 2 décembre 1938. L’enquête publique eut lieu les 6, 7 et 8 janvier 1939. L’État fournit 60% du coût total, qui fit de 1.150.000 francs. Mais le 9 février 1940, le Ministère de l’Agriculture fit savoir qu’il ne pouvait subventionner que les travaux justifiés par l’état de guerre ou par les besoins des populations “repliées”… .Là s’arrête le dossier. Il est fort probable que l’adduction d’eau généralisée ne fut réalisée qu’après la 2° guerre mondiale (15).

– la réfection des chemins fut l’autre grand chantier. Depuis la Révolution, les chemins étaient entretenus par des journées de prestation volontaire, ou par une taxe qui permettait de payer des ouvriers. Les habitants des hameaux, qui dépendaient étroitement de l’état des chemins pour leur approvisionnement et pour l’évacuation de leurs récoltes, les considéraient donc volontiers comme leur affaire. C’est ainsi qu’une association syndicale libre se constitue au Bosc, avec 36 membres, le 10 mars 1927, et qu’un plan est demandé à l’ingénieur du Génie Rural. Le financement sera assuré par des subventions, mais aussi par une taxe consentie par les associés, proportionnellement à la superficie des propriétés. Une taxe annuelle pour l’entretien et les grosses réparations est aussi consentie. En même temps, une autre association du même type naquit à Aubignas. Toutes deux menèrent à bien leurs travaux, et le 25 février 1938, elles acceptèrent de faire don à la commune des chemins qui desservaient leurs hameaux. Le même schéma dut se reproduire dans le reste de la commune, mais le temps a manqué pour le vérifier.

Conclusion

Ce serait une lourde erreur que d’imaginer, comme le font certains, que la paysannerie cévenole, et notamment celle de Chirols, assista sans réaction à la chute de son économie à la fin du XIX° siècle, et que les paysans “quittèrent un à un le pays” pris par le désespoir. C’est une vision idéologique, qui s’accompagne souvent d’une idéalisation du passé, d’une diabolisation des villes, lieux de perdition, alors que la vie à la campagne serait garante d’équilibre sanitaire, moral et économique.

D’abord, les crises de la fin du XIX° siècle touchèrent à cette époque surtout le bas pays. La Cévenne elle-même ne fut touchée que plus tardivement: la sériciculture n’y eut jamais une trés grande importance, le phylloxera n’y apparait que vers 1890, et l’encre vers… 1930. Dans le bas pays, les réactions firent vigoureuses, et souvent victorieuses: la sériciculture survécut grâce aux primes après 1890, les plants américains permirent de reconstituer le vignoble et les châtaigniers n’y eurent jamais d’importance. En réalité, on projette ces catastrophes économiques sur des pays désertés qui ne les connurent pas, ou peu, et on oublie de préciser que les endroits où elles se produisirent surent à peu près les combattre.

La cause de la désertion des Cévennes n’est pas économique: elle est culturelle. Les nouveaux besoins, répandus par l’école, par l’amélioration des communications, bientôt par les moyens audio-visuels, ne pouvaient être satisfaits que par des efforts gigantesques, auxquels la génération d’après la guerre de 1914 ne rechigna pas. La lutte pour pourvoir la région des équipements collectifs nécessaires fut acharnée, et constante. Nulle trace de découragement dans les associations d’agriculteurs des années 20 ou 30, celles de la coopération, de l’électrification, des adductions d’eau, etc. On ne voulait pas encore “vivre au pays”: on voulait y vivre comme ailleurs, au prix d’énormes efforts.

Et on y parvint. Si bien que les générations suivantes se trouvèrent pourvues d’un bagage culturel qui leur permettait d’aller voir ailleurs, et de constater que le même niveau de vie pouvait y être atteint au prix d’efforts moindres. Et n’était-ce pas exact? Où est la défaite de tant de gens qui sont partis, et qui reviennent au pays en Mercedes dans la maison familiale devenue résidence secondaire ? Et celle de ceux qui sont restés, malgré tout, pour maintenir une présence familiale sur la terre des ancêtres?

Aujourd’hui, une meilleure prise de conscience des réalités écologiques ramène beaucoup vers la campagne, même parmi ceux qui n’ont pas rencontré la réussite en milieu urbain. II est peu vraisemblable que cela conduise à la renaissance d’une civilisation paysanne. Il est par contre bien possible que cela conduise à une intégration dans une civilisation urbaine nouvelle, où la campagne serait le lieu de ressourcement, de calme, de repos, nécessaire à la formation, à la réflexion, au déploiement de la culture vivante.

Encore faut-il pour cela que les infrastructures édifiées par nos aïeux ne soient pas détruites: équipements scolaires, équipements de santé, chemins, postes, etc. C’est pourquoi il est essentiel de rendre hommage aux héros du XX° siècle, grâce auxquels la vie est aujourd’hui possible chez nous. Patrimoine, vous avez dit patrimoine ? Commencez par honorer la ligne électrique, la poste, le chemin, avant d’aller réveiller les morts du Moyen-Age…

Notes

(1) Archives de l’Ardèche, i Z 207.
(2) Yves Morel : J.L. Plantevin, moulinier : des fabriques à soie en Ardèche méridionale : Lacour éditeur, 1996, p. 100. Les frères Ricard lui donnent deux mois plus tard la charge de l’usine Avias, à Pont-de-Veyrières, qu’ils viennent de louer à son propriétaire. Puis Plantevin revint chez les Ricard, à l’usine des Portes, achetée en 1813 à la famille de ce nom. Y. More! pense qu’il n’a pu s’établir à son compte au Mas Lacroix (Vals-les-Bains) en 1846 qu’avec l’aide de ses anciens employeurs. Jean-Louis Plantevin prend le contrôle de l’usine de Pont-de-Veyrières, qui appartient à la société Berjon, de Lyon, en 1855, puis l’achète en 1861.
(3) La fabrique est une institution présidée par le curé, formée de 3 membres nommés par l’évêque, de 3 autres nommés par le préfet, créée oar le Concordat de 1802, et qui disparaîtra à la séparation de l’Église et de l’État en 1906.
(4) Archives de l’Ardèche, 7 M 459.
(5) Archives de l’Ardèche, 6 M 121.
(6) Yves Morel, op.cit. p. 118.
(7) Archives de l’Ardèche, 3 P 437 et suiv.
(8) Archives de l’Ardèche, 7 M 303.
(9) Archives de l’Ardèche, 7 M 67.
(10) Archives de l’Ardèche, 7 M 87. A Laurac, le produit des cocons atteint 285.000 francs, et celui des soies 290.000. On peut mettre en doute ces chiffres: mais à l’aide de quels éléments?
(11) Archives de l’Ardèche, 7 M 306 et 7 M 307.
(12) Archives de l’Ardèche, 7 M 70.
(13) Archives de l’Ardèche, 7 M 67.
(14) Archives de l’Ardèche,, 7 M 722.
(15) Archives de l’Ardèche, 7 M 458 et 459.

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